Une chronologie personnelle et familiale
ca. 1660
François, un colon protestant, arrive à la Guadeloupe avec son épouse Isabelle, indigène du Brésil. Ils forment l’un des premiers couples fondateurs de ma famille.
1722
Un autre François, né à La Rochelle en 1682, épouse Charlotte dans l’église qu’il a construite dans ce qui est encore le bastion de notre famille. Il est le premier homme de la lignée paternelle directe de mon père à poser le pied en Guadeloupe.
1774
Nos voisins du nord obtiennent leur indépendance et deviennent les États-Unis d’Amérique.
1776
Marie-Thérèse, femme de couleur libre et déjà la quatrième génération de personnes de couleur libres dans sa famille, épouse André un Noir libre. Ensemble, ils fondent la lignée des Bourguignon de Guadeloupe.
1789
La Révolution française fait rage.
1794
L’esclavage est aboli en Guadeloupe… mais seulement pour quelques années. Lors de son rétablissement, les personnes de couleur de ma famille doivent prouver qu’elles étaient déjà libres au risque d’être mises en esclavage. Dès lors, et jusque dans les années 60, les anciens de la famille insistent sur le fait qu’il faut toujours garder les papiers car la servitude forcée pourrait être rétablie.
1826
Naissance de Grégoire Antonin Cyrille André Bourguignon (petit-fils d’André et de Marie-Thérèse). Adulte, il se marie 3 fois et a environ 20 enfants. C’est grâce à lui et son combat aux tribunaux que le nom Bourguignon existe encore – à l’époque le nom est nouveau; la famille a un certain pouvoir mais pas tant que ça et les préjugés contre les personnes de couleur sont forts. Avant de mourir, il s’assure que TOUS ses enfants, garçons et filles, deviennent propriétaires d’un terrain afin qu’ils gardent leur indépendance quoi qu’il arrive et qu’ils restent proches les uns des autres. Aujourd’hui, notre famille vit encore sur ces terres. Pour le remercier de son dévouement envers sa famille et le bien-être de ses enfants, j’ai décidé de lui rendre hommage en prêtant son nom à la marque.
1836
Vous vous souvenez de François de La Rochelle ? Son arrière-petit-fils Bernard entretient une relation illicite avec la demoiselle Sencée, une femme de couleur et son esclave. Ils ont 3 enfants et elle est enceinte du quatrième. Il les libère cette année-là et leur offre des terres. Plus tard, ils ont un cinquième enfant que Bernard nomme en hommage à sa mère. Il s’occupe toujours de ses enfants mais épouse quelqu’un d’autre, avec un statut plus proche du sien. Il meurt quelques années plus tard. La demoiselle Sencée n’épouse personne d’autre et son prénom devient notre nom de famille.
1848
L’esclavage est aboli… pour de bon cette fois. Tous les membres de la lignée de ma mère sont maintenant libres. Ceux qui ont été maintenus ensemble et ceux qui ont réussi à se retrouver se présentent en famille pour recevoir leur nom patronymique.
1914
La Première Guerre Mondiale commence et plusieurs petits-fils de Grégoire Antonin perdent la vie pour la France.
1916
Naissance de mes deux grands-mères, la même année.
1939
La Seconde Guerre Mondiale frappe et le frère de ma grand-mère, Saint-Ange, est blessé.
1949
Marie-Clotilde perd les eaux alors qu’elle travaille au marché avec sa mère Clémence Modestine. Elle se lève et parcourt seule environ 7,5 km pour accoucher à la maison d’un petit garçon en bonne santé, mon papa.
1957
Ma maman a 2 ans, elle joue par terre et son petit frère est dans les bras de ma grand-mère. Ce sont les plus jeunes petits-enfants de mon arrière-grand-mère. Elle s’émerveille devant eux, montre mon petit oncle du doigt avec mélancolie et dit : « Celui-là, je ne le verrai pas marcher ». Et en effet, elle décède quelques mois plus tard.
1982
Je viens au monde. Depuis mes plus lointains souvenirs, je passe tous les samedis avec ma mère Michelle, ma grand-mère Méranie et mes frère et sœurs sur les terres familiales maternelles. Ces moments sont dédiés à la cueillette d’herbes médicinales sauvages, de plantes et de fruits. À ce stade, je n’ai pas encore conscience que nous suivons les traces de mon arrière-grand-mère Alphonsine et de sa propre mère Hermance qui ont vécu et décédé sur ces terres, nichées dans les bois. Dans mon jeune esprit, les tisanes, les bains de plantes et l’utilisation de fruits ou de légumes pour soigner le corps sont des choses normales et ordinaires. Je ne me rends pas tout à fait compte que même sur l’île, tout le monde ne le fait pas et qu’à l’échelle de la France, ce n’est pas universel. Sans le savoir, je suis une apprentie dans l’art de la guérison.
2000
J’emménage à Los Angeles pour étudier la psychologie et la littérature. Je suis complètement déconnectée de la nature. Et pour cause, je suis trop occupée à découvrir un monde nouveau et la vie dans une mégapole. Internet investit les foyers mais nous en sommes encore au stade de devoir débrancher le téléphone pour utiliser le modem. Vous vous souvenez de cette petite mélodie ?
2002
Près d’un an a passé depuis le 11 septembre mais ma maman n’a pas l’esprit apaisé. Elle veut que je quitte les États-Unis. De plus, je n’obtiens pas de prêt étudiant et je n’ai pas les moyens d’entrer à UCLA alors je déménage à Paris et atterris à la formidable Sorbonne. Paris est magnifique mais à part les escapades occasionnelles en forêt pour prendre l’air, je suis toujours déconnectée de la nature. Pire, je désapprends tout.
2010
Il est temps de me reconnecter. J’abandonne le défrisage et retrouve mes cheveux bouclés et frisés. Cela m’amène à faire plus attention à ce que je mets dans mes cheveux et sur ma peau. C’est une renaissance pour moi. Alors que j’entame un voyage vers le passé, je lis et me forme pour avancer vers l’avenir parce que je veux créer à partir de nos traditions en utilisant la science d’aujourd’hui. Le concept d’Antonin .B est né. Je commence à travailler activement sur la marque environ 2 ans plus tard.
2015
Le 1er juin, je lance Antonin .B avec seulement 2 produits, le Sérum du Désert et le Baume Intense au Miel. C’est effrayant. J’ai l’impression de commettre une imposture. Mon budget est ridiculement petit et je n’ai pas de réseau. Il faut partir de zéro. Miraculeusement, je ne finis pas l’année dans le rouge. Les revues sont positives et les récompenses suivent. J’ai construit quelque chose et il continue de grandir.